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25-04-2009 04:37:50  Un point sur l'aide internationale en Afghanistan

Alors que les Talibans reviennent en force dans l'actualité ces derniers jours (une situation préoccupante au Pakistan), il est temps de dresser un bilan de l'aide internationale fournie à l'Afghanistan pour la "reconstruction".
Une aide TRES CONSEQUENTE (20 milliards de dollars) répartie entre une bonne trentaine de pays et/ou d'organisations, dont la France (cf. paragraphe "contexte").

C'est le sujet d'un excellent documentaire de Paul Moreira diffusé sur Canal+, et dont les infos sont la source de la deuxième partie de cet article.
Etant moi-même personnellement impliqué (à des niveaux différents) depuis le début dans ce conflit, je me dois de faire aussi un point sur le sujet et de relayer le travail de cet excellent reporter...

Contexte


Depuis novembre 2001, l'Afghanistan est le "front principal" de la guerre contre le terrorisme lancée sous l'égide de l'ONU. Depuis 2003, la "Guerre en Irak", décidée unilatéralement par l'administration Bush pour le compte des Etats-Unis, a quelque peu éclipsé l'objectif initial du concensus obtenu après les attentats du 11 septembre. Mais c'est bien en Afghanistan, et dans les régions frontalières du Pakistan, que se joue la traque de Ben Laden et la lutte légitime contre le terrorisme (même si les "terroristes" potentiels peuvent se trouver n'importe où dans le monde, l'action militaire ne peut être concentrée que sur un seul point, c'est malheureusement la "limite" d'une telle action..). La France participe activement dans cette opération et a d'ores et déjà payé un lourd tribut en vies humaines dans ce combat...

Dès la fin de 2001, les Talibans ont été renversés militairement (principalement au niveau de la capitale, Kaboul), et un nouveau gouvernement a ensuite été mis en place (démocratiquement, dans la mesure où ceci était possible). Plusieurs années après, on s'aperçoit que si Kaboul n'est certes pas aussi dangeureuse que Bagdad en terme d'attentats, les Talibans se sont ré-implantés dans les zones rurales en dehors de la capitale, et qu'en plus ils se déploient désormais sur le territoire pakistanais !!

Le problème est que les guerres d'aujourd'hui ne sont pas les guerres d'antan : non seulement n'y a-t-il plus de "déclaration de guerre" officielle, mais plus non plus de "traité de paix" (encore moins de "capitulation"). Le dernier traité négocié internationalement date de la guerre du Vietnam. En Afghanistan, on a beau avoir renversé le gouvernement taliban, pris le contrôle de Kaboul, et mis en place un gouvernement "légitime", cela n'empêche pas les Talibans de se regrouper sur des zones moins contrôlées par les forces de l'ONU et de continuer la lutte (dans le cas de l'Irak, c'est même pire : le jour où le président Bush a déclaré la guerre terminée sur son beau porte-avions est PRECISEMMENT le jour où a COMMENCE la VRAIE guerre en Irak...).
Les Talibans ont donc encaissé les coups, se sont ré-organisés, et se sont déplacés sur des territoires plus propices. Au contraire, les forces alliées (dont la France) se sont stationnées sur des bases fixes, s'autorisant quelques "sorties" autour (ces patrouilles "défensives" n'étant même pas gage de sécurité, comme en témoignent les pertes françaises l'année dernière sur une opération de routine de ce genre...).
Résultat : on commence maintenant à s'inquiéter de ce que les Talibans ne se trouvent plus qu'à quelques centaines de kms d'Islamabad (capitale du Pakistan) ! C'est quand même incroyable, il y a des dizaines de milliers de militaires qui se morfondent dans leurs bases fortifiées en Afghanistan, et ils apprennent par la presse que le front est à 800 kms plus au sud !
Là encore, comme cela a pu l'être en Irak, faillite des stratèges militaires (avec, je l'admets, un problème supplémentaire lié à l'internationalisation des forces armées : difficile de faire mouvoir d'un seul bloc et en peu de temps, des effectifs issus de pays différents, et en plus d'implication différente dans le conflit).
Autre problème : le mandat onusien concerne l'Afghanistan, du coup bon nombre de pays vont juger raisonnable de dire "ben nous, on ne rentre pas au Pakistan...", et le Pakistan lui-même de renchérir : "on ne veut pas de troupes étrangères sur notre territoire".
Bref : du pain béni pour les talibans, qui n'en ont que peu à foutre des frontières, surtout qu'il s'agit de zones montagneuses ou de jungle, peu peuplées.
(rappel au passage : le Pakistan est doté de l'arme nucléaire...)

Pour en revenir au sujet, en juin 2008 était organisée une conférence sur l'Afghanistan à Paris. La plupart des dirigeants du Monde étaient présents ou représentés. A l'issue de cette conférence, tout le monde était content (Sarkozy et Kouchner en tête, organisateurs oblige) parce que toute la communauté internationale s'était engagée sur de fortes sommes pour "reconstruire" l'Afghanistan. Le président Sarkozy avait à l'époque été très satisfait de sa proposition de "doubler l'aide" accordée au pays (ce qui, en fait, ne plaçait la France qu'à la vingtième place des donateurs environ, une position correcte mais sans plus, surtout que la Crise n'était pas encore là...).
Au total, plus de 20 milliards de dollars avaient été annoncés lors de cette conférence (80% pour les Etats-Unis).

20 milliards de dollars, pour un pays comme l'Afghanistan (l'un des 10 plus pauvres de la planète), c'est une somme... (il ne faut pas comparer cette somme aux différents "plans de relance" APRES la Crise qui se chiffrent en centaines voire milliers de milliards..). D'où l'idée de Paul Moreira d'aller voir sur place comment cet argent était utilisé (note : depuis 2001, l'Afghanistan avait DEJA bénéficié de près de 15 milliards d'aide internationale..).

Où sont les écoles ?


Lors de la Conférence de Paris, le responsable américain (principal pourvoyeur de l'aide) s'était glorifié du fait que "680 écoles ont déjà été construites ou rénovées"...

Le point de départ, a priori "facile", de l'enquête était donc de vérifier ces écoles. Mais chacune des écoles visitées à Kaboul présentait un état vétuste voire précaire (pas de toit, pas de murs...). Une fois les autorités responsables contactées (pour obtenir AU MOINS UNE adresse d'école), on se retrouve devant un magnifique panneau publicitaire montrant un magnifique bâtiment, et une belle enceinte en brique...

Las, une fois passé l'enceinte, à la place des bâtiments promis, quelques constructions précaires et de simples tentes pour accueillir des étudiantes transies de froid, qui sont plus occupées à se réchauffer du mieux qu'elles peuvent plutôt que d'apprendre (et pourtant elles SONT LA, avides de connaissance..). La directrice explique que le panneau publicitaire est là depuis 2 ans et que depuis la construction de l'enceinte aucun ouvrier n'est venu.
Après de multiples appels pour obtenir d'autres adresses, la réponses finale est : "la majorité des écoles construites ou rénovées sont en zone rurale"...
Réponse "diplomatique", mais invérifiable aujourd'hui : la majeure partie de ces "zones rurales" sont déjà contrôlées par les Talibans, et sont donc dangereuses pour la sécurité des journalistes.

Quoi qu'il en soit, c'est bien à Kaboul que le besoin d'école se fait le plus sentir : la population, chassée des zones rurales, soit par la guerre, soit par les talibans, s'est réfugiée dans la capitale, provoquant un afflux. Les maigres structures déjà existantes sont devenues largement inappropriées : certaines écoles sont déjà obligées d'organiser des "rotations" car elles ne peuvent pas accueillir suffisamment d'élèves (et ceci dans les conditions précaires évoquées ci-dessus).

Pourtant, l'accent devait être donné sur l'éducation et la santé dans le cadre de l'aide internationale.. Où est donc passé l'argent ?

Des villas suspectes


On découvre alors un quartier entier de Kaboul qui semble presque anachronique dans la misère ambiante : de grandes et belles villas (et je ne parle même pas de villas provenciales, là ce serait plutôt de "palais" qu'il faudrait parler, avec plusieurs étages, colonnes et décorations, et je ne parle que de l'extérieur).
Ces "maisons" sont pour la plupart propriété de membres haut-placés du gouvernement. Pour certaines, elles ont nécessité l'expropriation de plusieurs personnes, et certains propriétaires n'hésitent pas à affirmer que les quelques vieilles bâtisses qui leur gâchent la vue seront rasées d'ici peu (sous prétexte d'une route)...
Et leur valeur de construction est de l'ordre de 300 000 à 500 000 dollars (voire 1 million) !

Une grande partie des propriétaires actuels faisaient partie de la résistance face aux Russes dans les années 80. Il étaient aussi pauvres que tout le monde. Comment peuvent-ils maintenant s'offrir de telles constructions, alors que certains de leurs compagnons d'arme vivent encore chichement, parfois juste à côté ?

Une partie de la réponse se situe dans la corruption du gouvernement : en effet, la majeure partie de ces "propriétaires miracles" est actuellement dans le gouvernement Karsaï. On pourrait également suspecter certaines "vieilles amitiés", les terrains en question ayant été cédés pour une bouchée par le ministre de la Défense afghan, qui se trouve être l'un des "chefs de guerre" historique, et surtout principal lieutenant de Massoud (rappel : assassiné en sept 2001).

L'autre source de revenus "possible" pour ces nouveaux nantis est le traffic de drogue : le pays fourni 80% de l'héroïne mondiale, même au prix producteur (loin du prix client) cela représente globalement plusieurs milliards de dollars..

Analyse des cas "où ça marche"


On a vu l'inexistence (ou presque) des résultats en matière d'éducation, qu'en est-il en matière de santé publique ?

Certes, Paul Moreira a trouvé UN hôpital (financé par des dons français, mais c'est un hasard) qui était correctement équipé technologiquement parlant, mais dont les prestations étaient inaccessibles financièrement parlant à la majorité de la population...

Il a surtout découvert un hôpital "rénové" grâce à l'aide internationale qui TOMBAIT EN DECREPITUDE après seulement 5 ans. Une analyse des coûts a montré :
- d'une part que l'ONG italienne chargée initialement de l'étude avait prélevé 1 million de dollars de frais (sur un total d'un peu plus de 2 millions provisionnés), frais vaguement justifiés par l'ONG en question (dont on salue néanmoins le courage de répondre dans un tel contexte..).
- d'autre part que le prestataire final avait visiblement utilisé des matériaux défectueux pour construire l'édifice (ce qui explique l'apparence vétuste après seulement 5 ans).

Conclusion : le détournement d'argent n'est pas uniquement en Afghanistan, il peut AUSSI être directement dans les pays donateurs...

Un espoir...


On termine (quand même) par une note d'espoir...
La caméra filme (par hasard ou pas, c'est pas le problème..) le cas de cet américain qui vient distribuer personnellement des livres et des chaises à une école de Kaboul...
Là, pas de milliards, pas de millions, juste quelques milliers de dollars, investis sur son argent personnel.
Là, pas de corruption, pas d'intermédiaire, et une aide qui arrive et bénéficie DIRECTEMENT à la population.

Imaginez ce que l'on pourrait faire dans les mêmes conditions avec 20 milliards de dollars...

On ne peut s'empêcher de penser au film "La guerre selon Charlie Wilson", basé sur une histoire vraie, et racontant l'investissement personnel d'un député pour aider les afghans lors de la guerre contre l'ex-URSS..

Conclusion


A la fin de "La guerre selon Charlie Wilson", après avoir obtenu du Congrès américain l'aide nécessaire en matériel pour aider les afghans dans leur lutte contre l'ex-URSS, et avoir ainsi renversé la tendance en leur faveur, il demande de l'aide pour reconstruire les écoles et les hôpitaux et se prend une fin de non recevoir...
On a vu ce que cette erreur a produit : le régime des Talibans, et Ben Laden et ses attentats.

Cette fois, les Etats-Unis ont décidé de ne pas refaire la même erreur et ONT ALLOUE CE QU'IL FALLAIT (avec l'aide de leurs partenaires)...
Malheureusement, au-delà de la volonté politique et de l'ouverture du chéquier, il faut AUSSI contrôler (et de manière drastique) la façon dont sont utilisés ces crédits.

Car aujourd'hui, à Kaboul, une partie de la population est en train de mourir de faim (et ce n'est pas une image..), à côté d'une autre, très minoritaire, qui profite impunément de l'argent des contribuables occidententaux pour s'acheter des 4x4 ou des palais, alors que cet argent devait initialement servir à offrir un toit et des murs aux écoliers...